LES ENFANTS DE L’AUROCH
Une brève histoire de nos plus belles amies
D’où viennent nos vaches ? Quel est leur ancêtre et dans quelle région du globe l’homme a-t-il commencé à s’en rapprocher ? Comment en est on arrivé à nos vaches domestiques ?
Les recherches archéologiques récentes ont permis de nettes avancées ces dernières années.
Et on connaît assez bien la suite et l’émergence de nos races actuelles.
Un petit tour d’horizon des origines supposées de la domestication des ancêtres de nos vaches, et de leurs transformations en meilleures amies de l’humanité.
Auroch ou Bison ?
Les paléotonlogues ont longtemps, jusque récemment, confondu l’Auroch – Bos Primigentus et le Bison d’Europe – Bison Bonasus.
Le Bison Bonasus encore présent en Europe de l’Est entre autre, est en fait un hybride d’un bison des steppes disparu – Bison Priscus et de l’Auroch. Si ce n’est lui c’est donc son cousin … La confusion des chercheurs venait peut-être de là.
C’est en 1827 qu’un anatomiste alsacien, Ludwig BOJANUS démontre que l’Auroch et le Bison étaient 2 espèces différentes.
Par les recherches des différents paléontologues, la morphologie de ce bovidé imposant qu’était l’Auroch, a pu être plus ou moins définie : de 1m 25 au garrot à 1m85 ( ce qui fait une sacré différence) avec parfois des individus allant jusque 2 m au garrot … Loin de la Pie Noire Bretonne !
Le poids des mâles aurait varié de 500 kg à 1 tonne. Les femelles sont estimées 20 % plus petites que les mâles. Mais l’Auroch « original » aurait été 1/3 plus grand que nos bovins domestiques actuels. Sa taille aurait ensuite diminué entre 1 m 50 et 1 m70 au garrot.
La tête était allongée avec un frontal plat, les cornes en lyre chez la femelle. Celles du mâle pouvaient atteindre 80 cm, claires sur les trois quarts avec la pointe sombre.
Le mâle était brun sombre à noir, avec une raie dorsale blanche ou rousse, la femelle pouvait être rousse, grise ou charbonnée.
Une disparition et une tentative de « désextinction »
Les Aurochs et l’homme ont été contemporains pendant longtemps, pour preuve, les représentations dans les grottes comme Lascaux, et les nombreuses représentations de l’Auroch, pendant l’antiquité.
Il y a 12 000 ans, l’habitat de prédilection de l’Auroch, des forêts et des prairies humides, via le réchauffement climatique, et de ce fait l’Auroch était abondant à cette époque.
Mais le développement de l’agriculture au néolithique changea rapidement la donne : asséchement des zones humides et défrichement des forêts.
L’Auroch, alors qu’il a disparu d’Egypte vers le XII ° siècle avant J-C, a persisté longtemps en Europe. Jules CESAR le décrit bien dans sa « Guerre des Gaules » au I° siècle.
Quelques siècles plus tard, les Aurochs sont devenus rares, ils ne peuvent plus être tués que par les monarques.
Mais chasse et la déforestation ont eu raison de l’Auroch entre le IX° et XI° siècle.
L’ultime spécimen d’Auroch, une femelle, s’est éteinte dans la forêt primaire de Jaktorow, en Pologne, en 1627. Presque fin de l’histoire …
Dans les années 20, 2 frères zoologistes allemands, Lutz et Heinz HECK vont tenter de ressusciter l’Auroch.
Directeur du zoo de Berlin, Lutz HECK et son frère Heinz feront une sélection « à rebours » en croisant entre elles d’anciennes races bovines : une race Corse, des taureaux espagnols et de Camargue, des variétés archaïques du Royaume Uni et des races bovines d’Europe de l’Est.
En 1932, les premiers « néo-Aurochs » naissent en captivité. Des spécimens furent relâchés sous le Troisième Reich dans des forêts allemandes et d’Europe de l’Est. Ils furent même réimplantés dans la forêt polonaise de Bialowieza, une des dernières forêts primaire d’Europe.
Mais cette résurrection sentait un peu le soufre, les 2 frères étant des nazis convaincus et actifs dans l’ordre de la SS… Lutz HECK voulait obtenir un mâle URUS REDIVIVUS – ancêtre de l’Auroch en plus agressif, qui serait, selon lui « un symbole de la force et du courage germanique ». Lutz était proche de l’ANENHERBE, une organisation pseudoscientifique révisionniste qui voulait rétablir dans sa totalité « la sylve et la faune germanique des origines » …Tout un programme !
Après la guerre, les zoos allemands exclurent l’Auroch reconstitué de leurs parcs.
Mais l’élevage repris dans les années 50 et l’Auroch est aujourd’hui élevé un peu partout.
De l’Auroch à la Noiraude
Les races bovines actuelles sont toutes issues de l’Auroch Bos Primignius. La domestication s’est faite lorsque l’homme s’est sédentarisé. Certains pensent que c’est la domestication qui a sédentarisé l’homme.
Le premier foyer de domestication des bovidés se serait situé entre la Turquie et la Syrie actuelles, il y a un peu plus de 10 000 ans. Les scientifiques ont donné le nom de Bos Taurus à nos bovins domestiqués.
Les premiers vestiges bovins domestiqués en Europe seraient arrivés, avec l’homme, il y a 8500 ans en Grèce.
La première introduction en France s’est faite il y a environ 7800 ans par la Corse, le Languedoc et le Sud-Ouest.
Une autre arrivée, par l’Est, appelée voie du Danube, s’est produite quelques siècles plus tard.
La taille au garrot et la longueur des cornes va diminuer au fil du temps. Moins dangereux, plus pratique, et moins gourmand en fourrage, et de ce fait, pas très bien nourries, les vaches de l’âge de fer – 800 ans avant notre ère- mesure environ 1m10 au garrot.
Les romains vantaient déjà les bienfaits du lait de vaches, et les bovins étaient utilisés pour la traction.
La chute de l’empire romain, puis les guerres et disettes du Moyen Âge entraînent d’importantes migrations humaines, ce qui provoque un important brassage génétique des animaux, bien que l’élevage à cette époque soit peu développé.
C’est après le XIV° siècle que la consommation de viande augmente dans les villes et que l’élevage se développe.
Dès le XVI° siècle, le bétail hollandais est connu pour sa production laitière.
Au XVIII ° siècle, se développe un bétail adapté à chaque région, selon que l’on veut produire du lait ou de la viande.
A la toute fin du XVIII° siècle, révolution industrielle oblige, la consommation de viande et de produits laitiers augmentent, concomitants à l’urbanisation galopante.
C’est un anglais, Robert BAKEWELL, qui, dès 1760, sélectionnera du bétail – bovins, moutons, chevaux – sur sa conformation et sa capacité à produire de la viande et de la graisse. Il le fait principalement par reproduction en consanguinité. Les bovins issus de ces croisements seront nommés New Leicester.
Le premier herd book bovin, voit le jour en Suisse en 1775.
Viendra ensuite la race Durham , avec des ascendances hollandaises.
D’autres races se développent aussi en Grande Bretagne : L’Hereford, l’Angus, l’Ayshire .
L’arrivée de la Durham en France en 1830 déclenche la sélection bovine.
Les races françaises vont se Durhamisés , animaux gras, courts sur pattes, cornes courtes, de forme parallélépipédiques.
Des races existent déjà : La Charolaise, la Salers (anciennement Auvergnate), la Cotentine, ancêtre de la Normande.
De nombreuses races seront croisées avec la Durham, qui donneront la Bleue du Nord, la Rouge des prés, l’Armoricaine.
La Durhamania s’essouffle mais la sélection reste, aidé par l’apparition des comices agricoles, dès 1830.
La premier comice parisien – si si ça eu existé – se tient en 1855. Et le premier Concours Général Agricole de Paris, qui deviendra le Salon International Agricole, en 1870.
Mais la « révolution » génétique française viendra du concours universel de Paris de 1856 et de l’ouvrage d’Emile BAUDEMENT « Les races bovines au concours agricole de paris en 1856 ».
Toutes les races présentes sont photographiées par Adrien TOURNACHON, tenues par leur propriétaire, dans un studio aux murs tapissés de draps – idée reprise par Yann Arthus Bertrand un siècle plus tard.
Emile BAUDEMENT était professeur de Zootechnie à l’Institut Agronomique de Versailles, il émit 3 idées majeures dans l’évolution du cheptel français :
1- Considérer les animaux comme des machines, révolution industrielle oblige, donnant des produits et des services : il faut optimiser les dépenses qu’ils engendrent pour augmenter le profit sur leurs produits – lait et viande.
2- Le principe de croisement « industriel » pour augmenter cette productivité, en se limitant aux produits de 1° génération – Effet hétérosis
3- La spécialisation des races, qui à cette époque font tout : Lait, viande, traction. Le débat races mixtes- races spécialisées perdurera jusqu’au années 60 …
C’est donc à cette période que la sélection se fait sur les aptitudes, lait ou viande voir les 2.
A la fin du XIX° siècle, de nombreuses races disparaissent, refoulées par les races plus performantes. La Morvandelle de Bourgogne disparaît devant la Charolaise, la Tourrache s’efface devant la Montbéliarde. La Gévaudan recule devant l’Aubrach.
La Pie Noire Bretonne est la race la plus représentée au début des années 1900 !
C’est après la première guerre mondiale, qui a décimé beaucoup de race de l’Est mais surtout du Nord de la France, qui va permettre à la Hollandaise – future Prim Holstein- de remplacer les troupeaux disparus.
Les races performantes vont continuer à se développer pendant l’entre deux guerres, la Seconde Guerre Mondiale n’aide en rien , et l’après-guerre , avec l’apparition de la traction mécanique, portera un coup fatal aux races de traction justement.
Une politique agricole durant les 30 glorieuses – 1945/1975- dite « Quittet » , du nom d’un ingénieur agricole, décrète que la France n’a besoin que de quelques races laitières et allaitantes. Les primes aux races locales, la reproduction et même l’entrée aux concours agricoles sont interdites pour ces races…
La Bretonne Pie Rouge, la Marchoise, la Bordelaise, la Menzec disparaissent. La Quercy, la Garonnaise et la Béarnaise fusionnent pour devenir la Blonde d’Aquitaine.
Les races mixtes sont mises en avant, comme la Normande.La Hollandaise – renommée Frisonne, est plus mixte que la Hosltein d’aujourd’hui.
Heureusement, certains éleveurs têtus ont su conserver certaines races locales comme la Casta, la Lourdaise, la Béarnaise, la Ferrandaise, la Bretonne Pie Noire et d’autres.
Fin des année 60 on commence à spécialiser encore plus – Lait ou Viande – Les races mixtes Maine Anjou, Parthenaise, Aubrac deviennent pures allaitantes. La Normande perd de sa superbe face à la Frisonne qui devient la Prim’Holstein, via de la génétique Nord Américaine. La Brune des Alpes est croisée en Brown Suisse et la Montbéliarde reçoit un peu de Holstein. En allaitant, la Charolaise, la Limousine et la Blonde d’Aquitaine sont le trio de tête.
Le nombre de races a fortement diminué, même si dans les années 80 des programmes de conservation ont été mis en place pour les races à petits effectifs qui n’avaient pas encore disparu.
Au début du XXI° siècle, La Prim Holstein, la Charolaise, la Limousine, la Montbéliarde (4° sur le podium) et la Blonde d’Aquitaine sont les principales races françaises. Si on ajoute la Normande, l’Aubrac et la Salers, ces 8 races représentent alors 96 % du cheptel bovin français !!
La diversité génétique c’est donc fortement réduite sur le territoire français, poussée par plus de rendement mais avec toujours plus de besoins, politique des 30 glorieuses dont on commence à mesurer les conséquences aujourd’hui. Mais les choses changent avec le maintien de races à petits effectifs dont on redécouvre les qualités, et la recherche de races plus résilientes, plus efficaces avec moins d’intrants. Et donc un certain retour à une agriculture plus respectueuse de l’animal mais aussi des éleveurs.
Fortement décriée par les gens qui n’en ont jamais vu, ou plutôt ne les ont jamais fréquentés, les vaches sont au cœur de nos vies. Chez certains peuples africains, la vache est le sommet de leur mythologie. Le monde fut créé à partir d’une goutte de lait de vache. Nous serions donc issus de la vache.
Avec tout ce qu’elle nous a apporté, expansion de la civilisation, diversité culturelle, traction, nourriture, fertilité du sol, c’est un honneur ou plutôt un bonheur de se dire qu’elle nous a créé, et non l’inverse !
Bibliographie :
Les vaches ont une histoire – Naissance des races bovines – Bernard DENIS Emile BAUDEMENT – Editions Delachaux et Niestlé
Toutes les vaches de France d’hier, d’aujourd’hui et de demain – Philippe J.DUBOIS – Editions Delachaux et Niestlé
La tribu des vaches – Werner LAMPERT – Editions CHÊNE
Revue ESPECES n° 50 – Décembre 2023 – Corne d’Aurochs ! La saga scientifique mouvementée de Bos Primigenius – Benoît GRISON – Enseignant chercheur UFR Sciences et Techniques Université d’Orléans
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